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Photo du rédacteurAgathe Delepaut

Ella

Dernière mise à jour : 12 mai 2021

Il est là. Au coin de la rue, comme tous les jours. Ella l’observe, intriguée. Tous les jours elle passe par cette allée en rentrant de l’école. Il a l’air triste, le regard dans le vide. Ella se demande ce qui le rend triste comme ça. Une fois, elle s’était promenée avec sa poupée dans la poussette et elle ne faisait pas attention. Sa poupée était tombée sans qu’elle ne s’en rende compte. Le soir elle avait pleuré. Elle avait été triste pendant très longtemps. Ella arrive au bout de la rue et rentre chez elle, dans sa maison dont les murs sentent la violette, le soleil et la bonne humeur. Elle se jette dans les bras de sa maman, pressée de lui raconter ce qu’elle a fait à l’école. Elle a appris de nouveaux mots, de nouveaux sons et elle a fini son coloriage magique, c’était un lapin. Maintenant elle arrive à écrire la lettre F majuscule sans hésiter et la maîtresse a dit que c’était très beau. Et puis à la récré elle a joué avec Lise et Thomas ils sont super gentils et ils savent faire du vélo sans les roulettes eux aussi.


Le lendemain, en parcourant la rue qui mène à son école, Ella le cherche du regard. Elle a un bonbon à lui donner, parce que les bonbons ça réconforte. En plus son bonbon il est à la cerise, et il n’y a rien de meilleur que ça. Il est enveloppé dans un joli papier blanc qui fait ce si doux bruit quand on l’ouvre. Un bruit qui met l’eau à la bouche. C’est le dernier bonbon à la cerise d’Ella, mais elle le donne avec un grand sourire. Il l’accepte, surpris au début, mais finalement, l’ébauche d’un sourire se forme sur son visage. Ella est contente, elle a guéri sa tristesse. Elle reprend son chemin vers l’école, toute contente. Elle dit bonjour à la maîtresse et court jouer avec Lise et Thomas avant de devoir aller en classe. Aujourd’hui, c’est dictée. Ella a un peu de mal avec certains mots. Elle tire la langue quand elle réfléchit et chantonne quand elle se rappelle de la bonne orthographe. La maîtresse ramasse son cahier pour le corriger et toute la classe commence des exercices de mathématiques. Ella adore les mathématiques, elle est très douée avec les opérations. Elle a même appris la table de cinq alors que les autres en sont toujours à celle de quatre. Lorsque la cloche sonne pour la récréation, Ella se lève vivement, pressée d’aller jouer. Elle va vers le hangar à vélo avec Lise et Thomas mais elle tombe et s’égratigne le genou. Elle boitille vers la maîtresse pour avoir un pansement après s’être désinfecté. Ça pique mais Ella est courageuse, elle sert les dents et repart jouer en riant, ses cheveux blonds scintillants dans le soleil du matin. Toute cette scène n’a pas échappé à l’homme de la rue. Il se tient de l’autre côté du trottoir et scrute discrètement la cour de l’école à travers la grille. Puis, la cloche sonne. Ella retourne en classe. L’homme tourne les talons et quitte la rue.

De retour en classe, Ella étudie l’histoire. Elle apprend à faire une frise chronologique, c’est assez rigolo, il faut mettre les flèches dans l’ordre en fonction de quand l’évènement s’est passé. La journée finit sur de l’art plastique, et pour lier tout ça elle doit faire un arbre généalogique de sa famille. Elle doit faire des dessins de sa famille et les accrocher sur un arbre. Elle a fait de très belles images de ses parents. Ça la rend nostalgique, elle a hâte de rentrer pour les revoir. Mais avant la sortie, il y a une lecture. Ella l’écoute à peine, elle qui d’ordinaire est fascinée par ce moment de la journée. Elle saute de joie à la sonnerie qui indique la fin de l’école. Ella dit au revoir à ses amis qui vont à la garderie. Parfois elle se dit qu’elle aimerait bien aller à la garderie de temps en temps pour pouvoir jouer plus longtemps, faire des dessins et partager ses bonbons. Mais elle aime rentrer chez elle, sentir l’odeur de violette et raconter sa journée à ses parents. Elle passe la grille, lance un joyeux « À demain ! » à la maîtresse et s’avance sur la rue qui mène à sa maison. Ella sautille dans la rue, pressée de rentrer chez elle.


Il est là. Il s’avance vers elle et hoche la tête en souriant, comme pour dire bonjour. Ella lui répond d’un sourire resplendissant.

Il lui prend la main, toujours souriant, comme pour lui donner quelque chose. Elle croit qu’il va lui donner un bonbon, peut-être même un à la cerise, jusqu’au moment où elle sent la piqûre au creux de son bras. Ella fronce les sourcils, c’est désagréable. Tout autour d’elle commence à tourner. Sa vision s’assombrit. Elle s’effondre comme une poupée de chiffons dans les bras de l’homme. Les personnes qui marchent autour ne semblent rien remarquer. Ils sont pressés, ils rentrent chez eux et sont concentrés sur leur trajet. Ce qui les entourent importe peu. Personne ne voit ce qui se passe à part un petit garçon. Il tire sur la manche de sa mère mais elle ne répond pas. Elle lui fait signe de se dépêcher. Il ouvre la bouche mais aucun son n’en est jamais sorti. Ses mains voltigent pour signifier à sa mère ce dont il est témoin. Mais elle ne le remarque pas. L’homme passe un bras autour de la hanche d’Ella. Elle est légère, il n’a pas besoin de plus de force pour la supporter. Il traîne le petit corps inconscient jusqu’à un vieux pick up qui sent la rouille et le fer. La rouille du métal et le fer du sang des animaux qu’il chasse. Il la cache sous une lourde bâche à l’arrière et démarre le moteur. Sous les soubresauts du véhicule une seringue et une petite bouteille d’anesthésique tombent sur le plancher et roulent au sol. La voiture disparaît au coin de la rue.

Peu à peu, sous les derniers rayons du jour, la rue se vide. Au bout de cette rue, une maison sent la violette et le soleil mais pas la bonne humeur. Cette maison s’emplit de cris de terreur et de pleurs. Ella n’y reviendra pas.


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