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Photo du rédacteurAgathe Delepaut

Réduire, remplacer, raffiner : conjuguer éthique et expérimentation animale

Dernière mise à jour : 12 mai 2021

Animaux de labo, leur temps est-il révolu ? Pas si simple. Les études en utilisent moins mais les remplacer est plus difficile. Organoïdes, modèles informatiques : si ces technologies offrent de l’espoir, elles sont encore insuffisantes.


Un des rats d'Agathe Franck. Tous droits réservés

Est-il possible de se passer des animaux de laboratoire ? La question se pose depuis un certain temps. Dès 1959, le principe des 3R est établi pour minimiser la souffrance des animaux. Réduire, raffiner et remplacer. Les laboratoires s’y sont mis petit à petit. En 1985, la Convention STE 123 légifère pour la première fois en Europe sur le bien-être animal. Les recherches doivent revêtir « un caractère de stricte nécessité ». Les scientifiques ont « pour finalité de remplacer l’utilisation (des animaux) partout où cela est possible ». La loi a évolué et, depuis 2013, le bien-être animal est strictement encadré. Comment cela se reflète-t-il concrètement ? « Il nous faut suffisamment d’animaux pour une significativité statistique, sinon il est impossible de conclure, ils auront été utilisés pour rien. » explique la Dr Alexandra Gros, chercheuse post-doctorante en neurosciences à Bordeaux. « Une solution pour réduire est de faire plusieurs mesures sur le même animal. » De son côté, la Dr Armelle Rancillac, chercheur Inserm en neurobiologie, mutualise : « Quand je prélève le cerveau, le reste est gaspillé. J’ai plusieurs fois collaboré avec des chercheurs pour leur donner d’autres organes. »

Raffiner c’est prendre soin de l’animal et minimiser son stress et sa douleur. « Nous sommes légalement et pénalement responsables des animaux de notre projet. Si je les manipule n’importe comment, je peux aller en prison. » rappelle Alexandra Gros. Il n’est de toute manière pas rentable pour les scientifiques de maltraiter leurs animaux. C’est le sujet de l’article Happy animals make good science écrit par Trevor Poole en 1997. Le stress d’un animal influe sur son comportement, son métabolisme. Prendre soin de ses animaux, c’est s’assurer du bon déroulement de son étude.


Réduire et raffiner : ces mesures ne sont pas à toute épreuve. La pandémie du SARS-Cov2 a touché les animaleries de laboratoire. Armelle Rancillac déplore : « Nous avons dû sacrifier un nombre important de souris pour que les animaliers soient moins nombreux à venir travailler. Pour relancer, nous devrons croiser des souris non nécessaires à l’étude. » Avec des modèles non animaux, la problématique est moindre. Alors comment remplacer un animal ?


In vitro, in silico : remplacer le modèle animal

Un organoïde est plus ou moins un mini-organe. Avec bien moins de cellules, il tente de reproduire l’organisation d’un organe et les interactions qui s’y produisent. Il permet d’étudier des processus biologiques fondamentaux. Armelle Rancillac travaille en recherche fondamentale sur les interactions entre les cellules impliquées dans la transmission de l’information cérébrale. « Les organoïdes sont tellement simplifiés qu’ils ne nous apportent rien. Par exemple, parfois on s’aperçoit que d’une zone du cerveau à une autre, une molécule peut avoir des effets opposés. Le modèle, c’est nous qui le créons ! » explique-t-elle. « Les alternatives ne pourront jamais nous aider à comprendre les fonctionnements de l’organe. »

Il est aussi possible de modéliser informatiquement le sujet d’étude : c’est le in silico. Une étude de Bruno Monier parue dans Nature en 2015 utilise avec succès un modèle in silico. Elle modélise une cellule telle un polyèdre, dont la forme est régulée par des vecteurs de force. Une fois validé, le modèle a permis d’étudier les mécanismes d’apoptose (mort cellulaire programmée) dans le processus de formation des pattes de drosophiles. L’Intelligence Artificielle est aussi utilisée. Des collègues d’Alexandra Gros « travaillent sur l’apprentissage du langage des oiseaux. Ils développent des outils d’Intelligence Artificielle pour vérifier si les modèles correspondent et pouvoir les utiliser ». C’est différent pour d’autres champs de recherche. En comportementalisme les réactions spontanées de l’animal dans certains environnements sont étudiées. Il faut alors s’en tenir au modèle animal.

« Si on ne teste plus sur l’animal il faut par exemple accepter que des molécules soient testées sur l’homme.

Il est assez compliqué de généraliser ces iniatives à toutes les équipes de recherches. « Je garde un œil sur les alternatives en cours d’expérimentation, mais cela reste à mes yeux des pratiques très techniques et qui coûtent cher (en matériel mais aussi parce qu’il faut généralement payer un·e ingénieur·e ou un·e chercheur·euse post-doctoral·e spécialiste). Donc rien qui ne parvienne aux stades de l’expérimentation quotidienne des labos, qu’il faut savoir répéter de manière fiable pour tirer des conclusions de l’expérience. » développe la Dr Agathe Franck. D’une manière applicable plus aisément, un animal peut être remplacé par un autre : un moucheron au lieu d’un rat. Mais cela implique de modifier le placement de notre curseur d’éthique dans certains cas. « Si on ne teste plus sur l’animal il faut par exemple accepter que des molécules soient testées sur l’homme. C’est un choix de société » conclut Alexandra Gros.


Le 4ème R pour la réhabilitation

« Il est encore fréquent d’entendre dire que la sortie des animaux est « interdite » et qu’il faut donc euthanasier systématiquement, ce qui est complètement faux. » rappelle la Dr Agathe Franck. Les animaux de laboratoire ne sont pas voués à l’euthanasie après l’expérimentation. Chiens, chats, rats, lapins ou même chevaux peuvent être adoptés au sein d’un foyer aimant. Quelques conditions cependant : ils ne peuvent pas être des animaux transgéniques. « La plupart des animaux ayant subi des protocoles lourds sont aussi exclus parce que le manque de ressources humaines et financières ne garantirait pas une réhabilitation correcte pour eux. » détaille la docteure. « Les animaux réhabilités sont donc des animaux témoins ou qui ont subi des protocoles permettant la réhabilitation : élaboration de vaccins, médicaments, aliments, études comportementales etc. » Des associations comme White Rabbit ou GRAAL accompagnent le processus d’adoption. Agathe Franck développe : « Le bien-être des animaux est la priorité numéro 1 des associations, qui passent donc par des sélections assez strictes : taille de l’habitat, nombre de pièces, autres animaux présents, nourriture envisagée, taille et qualité de l’enclos, jouets, temps disponible pour le jeu et les sorties etc. » Ce sont en effet des animaux fragiles, qui ont vécu dans des cages, seuls, et doivent donc s’adapter à un environnement très différent. La plupart n’ont jamais marché sur de l’herbe par exemple et peuvent être stressés à son contact. Mais halte aux préjugés, ce ne sont pas des animaux traumatisés, agressifs ou malades. Ils ont simplement besoin d’un peu plus de temps pour s’adapter. Les associations conseillent de prendre 4 jours de congés pour accueillir un chien dans les meilleures conditions. « La démarche n’est pas forcément différente de celle que l’on suivrait auprès d’associations de réhabilitation d’animaux abandonnés. » témoigne Agathe Franck. « Il faut candidater et prouver que l’on est prêt à adopter l’animal. Ensuite on va le chercher et on l’aime très très fort ! »


Agathe Franck et ses rats. Tous droits réservés


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